En Champagne, on fait du vin blanc avec, en majorité, des raisins noirs, ce qui est interdit dans toutes les autres appellations contrôlées en France. Si le Chardonnay est bien un cépage blanc, le Pinot Noir et le Meunier sont des cépages noirs c’est à dire que les raisins ont la peau bleu-noir. Les pigments (matière colorante) sont contenu dans la peau du raisin, accrochés à la face interne. Mais le jus contenu par ces grains est incolore ou presque, quelle que soit la couleur de la peau. Les pigments sont très solubles dans l’alcool mais peu solubles dans l’eau. Le jeu pour obtenir des vins blancs à partir de raisins noirs va donc consister à apporter aux pressoirs des raisins aussi intacts que possible (les machines à vendanger ne sont pas autorisés en Champagne) pour les écraser vite, sans que le jus ne macère avec la peau, sans que les pigments de la peau n’aient le temps de colorer le jus. Après le pressurage, le jus du raisin est acheminé à la cuverie où il va fermenter. Chaque lot est identifié selon sa provenance, son cépage et isolé des autres. Cette première fermentation alcoolique n’est pas différente de ce qu’elle est dans les autres régions productrices de grands vins blancs. Ce jus de raisin est constitué, pour l’essentiel, d’eau, de sucre et de levures. Les levures vont « manger » le sucre et le transformer en alcool. Selon les années, on peut-être conduit à ajouter du sucre (dans des proportions réglementées par la loi) et des levures. Après cette fermetation, le jus de raisin est devenu du vin (tranquille, c’est à dire sans bulle) qui titre environ 11° d’alcool. Il faut 17 à 18 grammes de sucre pour faire un degré d’alcool. Intervient ensuite une seconde fermentation dite malolactique. C’est une dégradation d’acides essentiellement de l’acide malique (plus ou moins stable), en acide lactique (stable). Si cette fermentation se faisait en bouteille, le vin risquerait de devenir vinaigre. Cependant quelques maisons de champagne ne font pas faire à leurs vins cette seconde fermentation pour conserver une acidité plus grande. Il faut alors stabiliser le vin par divers moyens (anhydride sulfureux, passage à froid pour tuer les bactéries restantes ou centrifugation). Plus qu’un simple phénomène biologique naturel de désacidifications des vins, la fermentation malolactique est un élément réel et déterminant du style propre à chaque maison. Elle accroît sa complexité. Cépages, provenances, qualités sont à ce stade toujours isolées. Le chef de maison et le chef de cave, entourés de leur équipe de dégustateurs vont réaliser un exploit : additionner les qualités et en même temps soustraire les défauts de ces différents vins en les assemblant. Le tout dans une vision prospective puisque le vin n’a toujours pas subi sa troisième fermentation qui va le rendre effervescent. A la fin de l’hiver, le vin tranquille est collé et filtré (on l’appelle « vin clair« ) puis tiré en bouteilles où on lui ajoute une liqueur. Cette opération s’appelle le tirage. La liqueur de tirage est faite de sucre dissout dans un vin (en général vieux) et de levures. Comme dans n’importe quelle fermentation alcoolique, les levures mangent le sucre, produisent de l’alcool et du gaz carbonique. Dans la bouteille soigneusement bouchée, la pression va monter à 5 voire 6 atmosphères. Cette production de gaz carbonique s’appelle logiquement la « prise de mousse », les bouteilles sont mises sur lattes, c’est à dire disposées tête bêche sur de fines lattes de bois, sur des kilomètres de long dans le calme et la fraîcheur stable des immenses caves champenoises : les Crayères. Cette fermentation sur lattes est très longue : de 3 à 9 mois. Mais lorsqu’elle est terminée, les bouteilles peuvent rester ainsi très longtemps. Près d’un an au minimum pour les « brut sans année » ; trois ans au minimum pour les champagne millésimés. En fait, la plupart des maisons augmentent très largement ce délai légal car les différents échanges qui se produisent pendant cette période sont très importants pour la qualité du vin. Reste à expulser ces levures, qui ont assuré la transformation du sucre en alcool, sont mortes, leurs cadavres sont très visibles à l’œil nu, ils forment un important dépôt sur la paroi de la bouteille. Il faut l’éliminer. Les bouteilles sont alors placées sur des pupitres, sortes de planche percées de trous. Chaque jour, pendant 15 à 20 jours, le « remueur » leur donnera un léger mouvement en redressant peu à peu la bouteille de façon que le dépôt descendre dans le bouchon. Un bon remueur manipule entre 30 et 40.000 bouteilles par jour. Depuis une quarantaine d’années, on utilise aussi des cages de fer montées sur des bras articulés qui reproduisent le geste du remueur pour 504 bouteilles à la foi. C’est moins poétique mais la place occupée au sol est moins importante et une programmateur électronique peut travailler 365 jours par an. Il n’y a pas de différences entres les vins issus des 2 procédés puisqu’il s’agit d’une opération de clarification purement mécanique. Reste à expulser ses levures mortes descendues dans le goulot (la gorge) de la bouteille. C’est le dégorgement. Cette opération est aujourd’hui mécanisée. Les bouteilles passent, cul tournée vers le haut, dans un bain de liquide réfrigérant à -25°C. Seul le goulot trempe dans ce bain de façon qu’un glaçon d’environ deux centimètres de haut emprisonne le dépôt. Il reste toujours mécaniquement la bouteille. La pression expulse le dépôt. Il n’y a plus qu’à introduire la liqueur de dosage, aussi appelée liqueur d’expédition. Elle est faite d’une dose plus ou moins importante de sucre dilué dans un vin. C’est cette dose qui détermine si le champagne est demi-sec, brut ou extra-brut. Le champagne est prêt à recevoir son bouchon définitif, son muselet de fil de fer et son habillage. Quelques mois plus tard, la bouteille est enfin prête à être dégustée.